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LA VIE CULTURELLE TURQUE EN FRANCE
LA VIE CULTURELLE TURQUE EN FRANCE
28 octobre 2011

ISTANBUL ET L'ART

Dans Les Echos du 28 octobre 2011

La scène se passe tout près du Bosphore, à des kilomètres de ce qu'on imagine être la Turquie traditionnelle. Juste à côté du musée d'art contemporain, Istanbul Modern, dont les collections permanentes sont composées principalement de vues folkloriques de la Corne d'Or, sont situés deux entrepôts qui accueillent la Biennale d'Istanbul. Plus de cinquante « one man show », une déferlante d'art contemporain dans un esprit de pure avant-garde et de recherche conceptuelle.

C'est la douzième fois qu'Istanbul se veut une plate-forme de la création sans frontières à travers ce rendez-vous. Son vernissage est fréquenté par tout ce qui se compte d'influent dans le domaine. Conservateurs américains ou collectionneurs moyen-orientaux, ils sont venus en masse en ignorant la Biennale de Lyon, dont l'inauguration se déroule quasiment au même moment. Car il se produit une révolution en ce moment en Turquie. Elle n'est ni islamiste ni politique. Ici, les gens ont soif d'art actuel.

C'est la société éponyme de la puissante famille des Koc, surnommés les « Rockefeller de Turquie », qui sponsorise la Biennale d'Istanbul. Elle possède déjà un lieu d'exposition, la Fondation Arter, qui montre jusqu'au 16 novembre les vidéos du Turc Kutlug Atman. Les rumeurs leur prêtent le projet d'un établissement colossal près du Bosphore, dessiné par Zaha Hadid, destiné à abriter leurs collections. 

Dans un autre quartier, les Elgiz viennent de fêter le dixième anniversaire de leur musée privé qui expose des oeuvres de Gerhard Richter, Louise Bourgeois ou Andy Warhol. Ils étaient les pionniers du genre. L'architecte Can Elgiz est l'auteur de gratte-ciel qui marquent le paysage d'Istanbul. Et on pourrait citer nombre d'autres lieux consacrés à la création actuelle qui fleurissent dans la capitale de ce pays en effervescence économique et artistique.

Cela dit, la douzième Biennale peut apparaître un peu décevante pour le visiteur non turc. Les deux commissaires de la manifestation, Adrian Pedrosa, qui vit à São Paulo, et Jens, installé à San Francisco, n'ont pas orienté leurs choix vers la fascinante réalité des artistes du cru, pris entre Orient et Occident, entre laïcité et islam. Ce qui est exposé est très intéressant, mais aurait pu être montré partout ailleurs. Son thème : art et politique. Son mode de présentation : cinq parties qui reprennent cinq titres d'oeuvres de l'artiste conceptuel américain Felix Gonzalez-Torres (1957-1996).

Humour turc

A travers le foisonnement de propositions, les commissaires dressent un genre d'état du monde qui parle entre autres, d'amour, de frontières ou de violence. On y voit un univers nostalgique, où la photo joue un rôle clef. Le jeune Brésilien Jonathas de Andrade (né en 1982) a trouvé dans une poubelle le journal intime d'un habitant de Recife. Il y relate ses histoires de coeur. Andrade y superpose de vieilles photos récoltées autour de lui. Les deux récits, écrit et en images, se nourrissent pour raconter une nouvelle histoire. Un travail qui rappelle un peu l'oeuvre de Sophie Calle.

Dans une salle obscure sont projetées des images anciennes toutes marquées par un impact de balle, symbole de mort violente. C'est l'Américain William E. Jones (né en 1962) qui est l'auteur de cette rubrique nécrologique d'un nouveau genre. Letizia Battaglia la bien-nommée est née à Palerme en 1935. Elle dresse la chronique des assassinats de la mafia. Chaque image choc en noir et blanc de ces personnages qui baignent dans le sang est associée à un commentaire comme :  « Nerina travaillait en tant que prostituée. Elle et ses deux amies furent assassinées par la mafia pour ne pas avoir respecté ses règles. 1982 ». La proposition est quelquefois stylisée -lorsque Eylem Aladogan (née en Hollande en 1974) imagine une poupe de bateau constituée de fusils collés les uns aux autres.

Il y a peu de messages optimistes si ce n'est celui, humoristique du turc Ahmet Ogut (né en 1981) : il a mis sous cloche un euro et une livre turque, qui se ressemblent étrangement. L'oeuvre baptisée « Amoureux parfaits » est un appel à l'entrée de cette Turquie si contemporaine dans la vieille Europe.

JUDITH BENHAMOU-HUET, Les Echos

 

 

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