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LA VIE CULTURELLE TURQUE EN FRANCE
LA VIE CULTURELLE TURQUE EN FRANCE
4 octobre 2011

LA BIENNALE D'ISTANBUL

Article paru dans Le Monde du 3 octobre 2011, de Philippe Dagen

"Party" dans la maison d'un collectionneur d'art actuel, en plein centre de la ville. Dans le vestibule dallé de marbre, une vitrine horrifique signée des frères Chapman et un grand Vik Muniz. Plus haut, dans l'immense bureau de ce businessman prospère, dans le salon, plus vaste encore, des oeuvres, pour certaines vues aux dernières
Biennales de Venise, des vidéos sur leurs écrans ultraminces. La façade arrière est entièrement couverte d'un jardin vertical.
Les invités sont collectionneurs, conservateurs, journalistes, tout cela évidemment cosmopolite et parlant donc, plus ou moins, anglais. Au dernier étage, on danse. Le bar est sur la terrasse, avec vue imprenable sur la cité éclairée. New York ? Berlin ? Londres ? Hongkong ? Non : Istanbul. La maison est sur les hauteurs et, si l'on ne reconnaissait pas au loin les minarets de la Mosquée bleue et les haubans des ponts sur le Bosphore, on pourrait se tromper. Même la musique est occidentale, hors une démonstration de danse orientale qui suscite de curieuses ondulations parmi les spectatrices et spectateurs. La "party" est donnée à l'occasion de
l'inauguration de la douzième Biennale d'Istanbul, qui a pour commissaires Adriano Pedrosa, Brésilien de Sao Paulo, et Jens Hoffmann, né au Costa Rica, passé par Londres et aujourd'hui directeur du Watts Institute of Contemporary Art de San Francisco. Elle se compose de 5 expositions collectives et 50 individuelles, réunies dans deux anciens entrepôts du port. L'architecture intérieure est l'oeuvre très minimaliste du Japonais Ryue Nishizawa. Un tiers d'artistes, un tiers de Sud-Américains et un tiers du "reste du monde", les Etats-Unis pour l'essentiel : tout cela est décidément international.
Autour de la Biennale, comme il se doit, les manifestations annexes abondent : leur inventaire occupe 29 pages, pêle-mêle de lieux officiels et d'autres utilisés pour l'occasion, de galeries et de fondations, d'initiatives locales et de projets venus de Brême ou de Londres. L'une des plus remarquables, "Uncontainable", est consacrée aux relations entre technologies du numérique et de la réalité augmentée et création. Capteurs,
ordinateurs et robots, dispositifs ludiques ou, parfois, bien plus troublants.
"Uncontainable" a lieu sous de vieilles voûtes ottomanes, près de la place Taksim, qui est l'un des centres de la vie stambouliote. Et qui est en train de devenir l'un des points de repère de sa vie artistique. De Taksim descend la longue rue Istiklal, artère centrale du quartier de Beyoglu, où les galeries cherchent à s'insérer entre boutiques de mode, banques et cafés. On y trouve la galerie SALT, mais aussi la Fondation Arter, qui, le temps de la Biennale, consacre ses espaces aux "Mesopotomian Dramaturgies" de Kutlug Ataman, impressionnant ensemble d'images conçues par ce vidéaste de 50 ans, figure majeure de l'art actuel turc.

Mollement consensuel
L'installation de la Biennale au bord de l'eau a déterminé l'apparition d'un deuxième pôle. Istanbul Modern, le musée d'art moderne, près des entrepôts. Sous le titre vague de "Rêve et réalité", il propose un inventaire de la création au féminin dans le pays au XXe siècle.
Autre signe : des galeries choisissent cette partie luxueusement restaurée de Besisktas : c'est le cas de Rampa, dont les aménagements ne détonneraient pas à Chelsea, le quartier de Londres ou celui de New York.
I
stanbul est ainsi en train de devenir l'une des étapes du circuit international de l'art actuel. On y voit présentés le Belge Wim Delvoye, des peintres de la nouvelle génération allemande et une sélection venue de Turin - et de nombreux artistes turcs, naturellement, mais de façon aussi peu séparée que possible, cherchant dialogues et comparaisons.
Dernier élément indispensable à cette mutation, une foire d'art actuel. Elle a eu lieu pour la première fois du 14 au 18 septembre, et se nomme Art Beat Istanbul, avec 29 galeries. Elle a reçu 35 000 visiteurs, dont, assure le communiqué final (et triomphal), plusieurs collectionneurs majeurs et directeurs de musées internationaux. Près de la moitié du millier d'oeuvres exposées auraient été vendues pour un montant global de 5,5 millions
de dollars (4,1 millions d'euros).
Cette évolution peut cependant avoir une conséquence regrettable, qui ne se voit que trop dans la Biennale proprement dite : préférer le mollement consensuel au durement singulier. Se réclamer de Felix Gonzalez-Torres, Lygia Clark ou Martha Rossler est désormais vieillot et convenu. Tout aussi convenu est le ton général voulu par les commissaires. On déplore, on dénonce, on se souvient avec émotion, on cultive la nostalgie des
révolutions. Mais les bons sentiments ne font pas du grand art.
La collection de pochettes de disques de l'Israélien Dani Gal -ready-made de l'histoire récente - ; les excellents
dessins sarcastiques du Turc Nazim Hikmet Richard Dikbas et les cartes en lambeaux de tissu de la Roumaine Geta Bratescu ne suffisent pas à sauver cette édition du sentiment de déjà-vu.
Le souvenir de la précédente, autrement nerveuse et novatrice, permet de l'affirmer : Istanbul ne sera véritablement une ville majeure de l'art actuel que dans la mesure où l'on n'y verra pas seulement ce qu'on voit partout ailleurs, de Venise à Miami. Il se passe bien assez de choses dans cette partie du monde pour cela. Encore faut-il prendre la peine d'aller les découvrir.

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