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LA VIE CULTURELLE TURQUE EN FRANCE
LA VIE CULTURELLE TURQUE EN FRANCE
10 mars 2010

DU BOSPHORE AU SUD OUEST

Article de Simgenur Güdeberk, Sandrine Ducros et Xavier Sota dans Sud Ouest du 5 mars 2010

Près de 11 000 : c'est le nombre de personnes originaires de Turquie que compte l'agglomération bordelaise. Mais, « la communauté turque n'est pas à prendre comme une communauté compacte, unie », explique Kadriye Karagür-Yalçin, chercheuse au CNRS. « La Turquie est une mosaïque, un pays héritier du grand empire ottoman, multiconfessionnel et multi-ethnique. »

L'Ottoman, c'est le nom que Hüseyin a choisi de donner à son restaurant. Au 18, rue des Faussets, la façade n'est pas spécialement pittoresque. Mais, « quand tu passes la porte de mon restaurant, tu te sens en Turquie », affirme le maître des lieux.

Un parfum d'Antalya

Une yourte trône au-dessus des tables colorées. Sur chaque mur, de la vaisselle, des tapis, et des instruments de musique typiques. « Chaque pièce est unique », s'enorgueillit le propriétaire. Certaines étoffes ont été brodées par sa soeur à l'occasion de ses noces. Il y a aussi cette photo, de tous ses frères réunis, sur un sofa, souriants.

Hüseyin est le seul à résider en France. Il y a vingt ans, il n'était qu'un touriste à Bordeaux. « Le quartier Saint-Pierre m'a vraiment plu. Ce quartier et la ville d'Antalya, où j'ai grandi, c'est la même émotion. » Garde du corps à Istanbul, il n'a jamais pu se résoudre à y retourner. Il est resté ici, avec sa femme, qui a grandi dans le même quartier que lui. C'est autant la culture de son pays que son histoire personnelle qui s'affichent sur les murs.

Tel ce portrait de lui en habit traditionnel, face à l'entrée. Le restaurateur raconte que chaque 23 avril, à l'occasion de la fête nationale, il interprète une danse appelée zeybek, célébrée en grande pompe par les Turcs à Lormont.

Épiceries, cours Victor-Hugo

Au coeur de la ville, le cours Victor-Hugo fournit son lot de magasins invitant au voyage. L'Ulker market est la plus grande épicerie turque de Bordeaux. Et surtout la première. Niyazi Ulker l'a fondée en 1996, pour que les jeunes n'aient plus à importer des colis.

Comme beaucoup, Niyazi est d'abord venu seul, il y a trente ans, pour travailler dans la construction, partageant une chambre dans un foyer pour immigrés. Plus tard, sa famille l'a rejoint. « Ma femme, mes enfants, mes amis sont ici. Je n'ai plus de proches auprès de qui retourner en Turquie. »

« Je ne me sens vraiment chez moi ni en Turquie, ni en France », confie Fatma, l'une de ses clientes. Professeur dans son pays d'origine, elle a suivi son mari en France en 1993, et, depuis, n'a plus jamais travaillé. Les premiers temps, elle souffrait de ne pas savoir parler français. C'est au centre social qu'elle en a acquis des notions, pour se débrouiller au quotidien.

« Je reste un étranger »

À deux pas de l'Ulker market, Visiotelecom est un taxiphone turc fréquenté par les immigrés. Yüksel, un ami du propriétaire, raconte : « Je vis en France depuis trente ans, mais je suis étranger. Quand je retourne en Turquie, où j'ai vécu seize ans, je suis aussi un étranger. » Comme nombre de Turcs, « je n'arrive pas à dépasser le stade du salut avec les Français », confie-t-il, avec déception.

De l'autre côté du cours Victor-Hugo, à l'Erciyes market, des Marocaines, des Turques, des Algériennes, font la queue à la caisse. « Les immigrés ont développé les villes en France. Nous avons construit les routes, les chemins de fer, les bâtiments. Mais aujourd'hui, on regrette notre présence », estime Ibrahim, le propriétaire, un rien amer.

Arrivé à 21 ans, il fut d'abord ouvrier. Il rejoignait ses parents, installés à Bordeaux treize ans plus tôt. Pour lui, ses voisins turcs sont comme une famille. « Les nouvelles générations sont moins dépendantes de la communauté », mais Ibrahim l'avoue : « Je n'accepterai jamais qu'un de mes enfants vive "quelque chose de spécial" avec un Français. »

Dans la communauté turque, « les mariages mixtes sont très peu tolérés », confirme Saïd Tarkan, président de l'association France-Turquie Amitié en Aquitaine. Le fils le plus âgé de Sakir, un habitué de l'épicerie, a pourtant épousé une Française. Sakir, lui, est divorcé, ce qui est peu courant dans une communauté où la famille tient lieu de valeur fondamentale.

Être son propre patron

L'autre valeur sur toutes les lèvres, c'est le travail. Souvent les enfants ne poussent leurs études que jusqu'à l'obtention d'un diplôme professionnel, qui leur assurera un métier. Souvent aussi, les familles montent leur propre entreprise. Ramazan, responsable de la Chambre de commerce franco-turque en Aquitaine, explique en partie son ambition par les vexations qu'il a subies : « Quand j'étais petit, les Français se moquaient de ma pauvreté. »

Pour autant, ce chef d'entreprise comblé n'a gardé aucune rancoeur et rejette le communautarisme. « Les Français, les Turcs, les Kurdes, les Alévis, les Arméniens sont mes frères. »
« Une multitude d'associations turques »

« Sud Ouest ».

La communauté turque est-elle fortement structurée sur l'agglomération bordelaise ?

Au début, il n'y avait pas de divisions. Le fait de venir de Turquie rapprochait les premiers migrants, essentiellement des hommes venus pour soutenir la main-d'oeuvre. Il y a donc eu une réunion dans une première association, Turc islam, pour répondre aux différents besoins des Turcs qui arrivaient. À partir de 1974, les familles sont arrivées. Et depuis, il y a une multitude d'associations, politiques, religieuses et des associations montées par les jeunes. Comme l'association créée par des jeunes d'Isparta (une ville de l'ouest de la Turquie, NDLR). C'est comme si des gens, ici, montaient une association parce qu'ils viennent de Mérignac. On revendique davantage son identité, jusque dans sa province d'origine.

Quels sont les traits de la culture turque qui se sont maintenus à Bordeaux ?

Au niveau de la religion, la pratique diminue. Le ramadan est suivi, la prière l'est moins. Une chose qui ne se perd pas, c'est la fête du 23 avril. Une fête nationale. L'État turc est un état récent. Il a été créé en 1923 par Mustafa Kemal Atatürk. Cette « turcité » est très importante, justement parce qu'elle est récente. Le fait d'avoir émigré fait d'autant plus ressortir les racines. S'il y a bien une fête qui rassemble toute la communauté à Bordeaux, dans toute sa diversité, ethnique et religieuse, c'est cette fête. Elle est organisée à Lormont par les Elco (Enseignants de langue et culture d'origine, envoyés par le gouvernement turc). Elle est aussi connue comme la fête des enfants. Car dans l'idée d'Atatürk, l'avenir de la Turquie se fait par l'éducation des enfants.

Il y a donc un vrai investissement dans l'éducation des enfants ?

Oui. Avant les parents insistaient énormément pour que les enfants assistent au cours des Elco, car c'était le seul lieu où les enfants pouvaient apprendre leur langue maternelle et leur culture. Mais aujourd'hui, les enfants sont de la 3e voire de la 4e génération, ils ont une mentalité différente de celle de leurs parents. Certains ne voient même plus la nécessité d'aller dans ces cours d'Elco. Mais globalement ils sont suivis. Les cours de religion dans les différentes associations jouent également un rôle. C'est l'autre biais qui permet de transmettre la culture et de la préserver. Et puis, il y a le rôle des médias. Aujourd'hui, tout le monde a une antenne parabolique. Les Turcs regardent majoritairement les chaînes turques. La première génération le fait au détriment des chaînes françaises, car elle ne parle pas nécessairement français, mais les jeunes regardent les chaînes turques et françaises.

Les traditions culinaires ou vestimentaires sont-elles également préservées ?

En fait, Atatürk a voulu créer un État laïc. Il a donc interdit tout ce qui rappelait la tenue vestimentaire ottomane, à savoir le fez, cette coiffe particulière, et le pantalon bouffant. Donc, quand ils sont arrivés, les Turcs avaient déjà une tenue « européenne ». Seules les mamans de la première génération avaient quand même ce pantalon bouffant. Les spécialités culinaires par contre ne se perdent pas.

Le développement des épiceries turques a également aidé. Autre exemple, le kebab avant, ce n'était pas fréquent à Bordeaux. Ces snacks étaient plutôt tenus par des personnes d'origine maghrébine. Aujourd'hui ils sont rachetés par les Turcs. Parce que les Turcs ont un esprit entrepreneurial important. Ils montent de plus en plus souvent leur propre entreprise, généralement familiale.

La dernière publication de Kadriye Karagür-Yalçin : « L'immigration turque en Gironde : du projet migratoire des parents aux aspirations des jeunes » (2006).

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Commentaires
A
Si vous parlez des turcs de la turquie vous faites une erreure tres grave avec certaines explications completement fausse, mais si vous parlez des turcs de bordeaux , vous avez peut etre raison.Mais discutable quand meme.
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